(commande de la compagnie mahoraise Ariart)
Argument
C‘est l’histoire d’une pluie devenue un cours d’eau, d’un cours d’eau devenu rivière, et d’une rivière que l’on a oubliée de nommer. Au moment de disparaître dans l’immensité, la rivière refuse . Pas tant qu’on ne lui dira pas son nom. Ainsi naît la mangrove , ainsi naît le Djinn qui hurle. Ainsi naît la maladie qui va dévorer le pays.
Note
Quand Madjid m’a demandé un texte, sa demande été claire : s’il te plaît ne sois pas dans le discours entendu sur l’île, trouve une façon de parler du feu qui vient sans être dans la caricature qui nous colle à la peau. Tu es venu ici. Parle-nous, comme si tu étais des nôtres. Comment dis-tu que la maison s’effondre si tu y habites ?
J’ai longtemps fait silence, la tâche me semblait impossible. Je ne suis pas Mahorais, comment pourrais-je comprendre. Comment pourrais-je parler de l’intérieur. Puis je me suis rappelé que le feu prend aussi chez moi, que nous continuons à sourire parce que nous pensons que la mer saura toujours nous protéger. Folie, folie .
De plus, si j’avais à dire chez moi, même à raconter mon pays, ma voix ne fait pas autorité , si je parlais de chez moi sûrement que je ne serais pas écouté, à moins de changer de corps, de langue, de folie. C‘est là qu’est née dans ma tête la figure de Djinn.
Évoquer la figure du Djinn parce qu’elle me permet de convoquer une parole hors norme, et de la rendre libre de tout attente, la mauvaise fois n’est pas son problème, sa violence non plus, la morale n’est pas son sujet. La figure du Djinn est écoutée car crainte et vénérée et sa parole, elle, ne joue dans aucun camp. Donc elle est juste. La vérité, sans être un absolu devient une conséquence.
L’idée du Djinn, je l’utilise ici comme un symptôme, celui d’une maladie, le Djinn est une maladie qui touche l’île et la dévore. On m’a raconté que des psychiatres étaient venus travailler autour de la figure des Djinns à Mayotte et avaient acté que le chemin des Djinns était utile dans un pays où la folie n’est pas traitée. La société fait alors rituel, prend en charge et parlemente avec Djinn (donc a la maladie mentale) qui habite l’être pour le guérir. Et même pour celui qui est habité, il est porteur d’un Djinn, une puissance supérieure. Et pris en charge. Cela n’est pas rien.
Ici le Djinn qui parle, existe par son nom qui est perdu. Il existe par une mémoire oubliée. Ainsi il refuse la mort qui l’attend, personne ne peut mourir sans être sûr de son existence. C‘est en cela qu’il devient la maladie du pays. Le pays oublie son ventre et le pire est à venir. La maladie de Djinn s’étend et elle va tout dévorer.
Mon djinn parle et raconte, c‘est un maître de cérémonie, il dit et conte. Il parle directement à la foule, car dans nos pays c‘est comme cela que tout est fait, tout doit être dit à la foule ; malheureusement peut-être, pour que cela existe, le bien comme le mal, ce qui doit être réparé, détruit ou fêté . Il faut dire et attendre le jour qui arrive . Ainsi mon Djinn raconte, il raconte les 3 trois mouvements vers sa mort et sa disparition. Trois mouvements vers la reconquête de son nom. Trois pas, avant de disparaître, trois histoires emblématiques de la maladie de Mayotte et de nos pays brisés au soleil.
Convoquer des figures qui traversent le temps, Gandhari du Mahabharata qui donna naissance à cent fils et finira par créer une guerre. Le Foudi rouge et Caïn. J’aimerais que l’histoire ici prenne des allures de mythes, que l’histoire traverse le temps et le territoire même de Mayotte.
J’ai voulu mêler les langue aussi, le français et le mahorais, pas les enchâsser, mais plutôt donner à chacune une place, en sachant qu’on peut les intervertir. La langue de la prière est ici le mahorais . Un monologue à plusieurs voix. Je propose ici, de frotter la parole du Djinn à d’autres voi, elle peuvent être incarnées par lui, ou simplement convoquées. Il y a l’idée que dans la bouche du Djinn les paroles se mêlent, se troublent et se mélangent.