Après le feu

2021

APRES LE FEU

Durée 1h15 

Dès 14 ans 

Écriture et mise en scène : Vincent FONTANO 

Avec : Floriane Vilpont & Yann Gael 

Musique : Jako Maron, Mélanie Badal & Célia Boudot 

Production : Compagnie Kèr Béton 

Coproductions :
TÉAT Réunion, Théâtres du Conseil Départemental 
Maison de la Culture d’Amiens, scène nationale 
Théâtre du Grand Marché, Centre Dramatique National de l’Océan Indien 

Soutiens :
DAC Réunion 
Région Réunion 
Département de La Réunion 
Ville de Saint-Denis 
Cité des Arts 
Ville de Saint-Pierre 

Argument

Après le feu, après la guerre. Une femme lentement se relève, dépoussière ses vêtements, essuie le sang de son visage. La longue nuit a pris son corps. Maintenant que le silence est revenu. Maintenant que la vie reprend. Dans le journal du pays elle passe une étrange annonce : « J’habite la ruelle sans pavé, vous êtes venu chez moi un soir. Vous avez découpé tout ce que avait un souffle. Je connais vos yeux, mon ventre est rond. Vous êtes père, je vous attends. »

Deux enfants dans la guerre

Après la guerre, deux enfants essayent de se reconstruire, la victime et l’assassin. Ils ne sont pas égaux dans la douleur, ni dans la folie. Ils ne sont pas de la même ethnie, mais de la même rage.
Le pardon est-t-il possible ? La folie est-elle morte ou simplement en sommeil ? Le monde a-t-il vraiment eu sa ration de corps morts et de sang ?
Après le feu est une plongée en eaux profondes. Une plongée en apnée, dans l’horreur.
L’horreur d’une des plus grandes tragédies du XXème siècle. Après le feu est ma façon de faire face au monde, à mon impuissance, à mon incompréhension. Après le feu est mon envie de croire que l’espace où l’on dit la folie peut la mettre à distance. Alors je dis, alors j’écris le pire en espérant qu’il n’advienne jamais. Après tout, chacun ses armes.
Je ne parle pas du Rwanda, enfin pas que. Il y a quelques années à Majunga j’ai assisté à un lynchage. Cette scène de violence hante encore mes nuits. Et si le sang et la rage n’étaient qu’à portée de doigt. C’est qu’à trop se croire à l’abri on se fait surprendre. Quand je vais à Mayotte, je vois de la folie à l’œuvre des frères prêts à s’entre-tuer. Quand je vais à Anjouan, je vois de la folie à l’oeuvre, des frères prêts à s’entre-tuer. Quand je vais aux Comores, je vois de la folie à l’œuvre, des frères prêts à s’entre-tuer et mon Ile, mon Ile à moi, bien qu’elle semble plus paisible, n’est pas si loin de son désir de sang. Alors je dissèque, je traduis les causes du mal. On dit que le théâtre est un espace sacré, alors je dis que je suis chaman. Et je rêve que mes mots, lancés à la cantonade, exorcisent le mal que je vois venir, ou qu’au moins il le ralentisse. Ainsi, cette histoire pourrait commencer ainsi. « Dans les restes d’une ville en feu deux enfants d’égale dignité vont devoir apprendre à vivre avec la folie que le monde offre à dîner. Ils vont devoir
vivre avec leurs douleurs et leurs fautes. Vont devoir trouver la force de vivre côte à côte dans le sang versé. Le pardon est à ce prix, après tout ils sont les seuls à pouvoir reconstruire. »

Mot du metteur en scène

Écrire sur le pire, écrire sur un cri dont on a du mal à dire le nom. J’ai voulu entrer dans la plaie en sachant que malheureusement je serai toujours dépassé par le réel. Alors je ne me suis pas laissé le choix, que ce soit dans l’écriture ou dans la direction d’acteur. Je me suis éloigné des attendus
de la dramaturgie et de la mise en scène. J’ai joué contre moi, joué contre l’injonction étrange de toujours mettre un contrepoint, une respiration, un moment de légèreté pour faire passer l’amer. Nous, peuples du sud, avons appris à rire du pire, mais pas cette fois, pas là. J’ai besoin d’aller au bout
de la parole folle, même si elle ne me laisse pas respirer. Et sur scène, juste des corps habillés de lumière, ils ont tant à dire.

Esthetique

J’ai d’abord pensé qu’il fallait figurer des ruines, mais même les ruines étaient de trop. Alors j’ai pensé un endroit où cette parole pourrait se dire, sachant qu’elle n’est pas totalement intime. Cet espace est impossible à construire. Alors j’ai habillé la parole de lumière pour que cela nous perde dans le temps et dans l’espace. Mon urgence s’est radicalisée au plateau, et j’ai cherché l’épure. Plus rien ne compte à part ces deux corps, ces deux voix et les mots qu’ils font résonner. Je n’ai rien d’autre à montrer que la douleur que j’ai entendue.
Ce sera mon acte de mise en scène.

Extrait

Acte 2

L’annonce

apres le feu

Elle dit : Un jour, ils ont repeint les murs, lavé les rues. Un jour comme ça, ils ont gratté les murs, enlevé le plomb qui s’y était accroché, lavé à grande eau les taches de sang et repeint. Et la musique, la musique timidement est revenue, lentement sur quelques radios, entrecoupée de paroles lentes le jour, puis la nuit, pleinement la nuit dans des couleurs criardes et enveloppée de vapeur de bière. Ils ont repeint les murs et la ville est devenue belle, comme neuve, ils ont redressé les bancs renversés et un jour, et un jour les églises ont rouvert leurs portes, il y avait des gens pour s’asseoir.
Les églises ont rouvert leurs portes, débarrassées des cadavres qui emplissaient leurs ventres, l’odeur de l’encens ayant mangé celle de la charogne. Et les pasteurs, les pasteurs ont repris leurs prêches et les louanges ont couru la ville. Ils ont prié pour les morts et pour les vivants, pour les demi-corps qui restent.
Ils ont prié et louangé pour les innocents et les fauves, ils ont loué le jour nouveau et celui à naître, ils ont louangé plein de sueur et de larmes.
Et puis, et puis
Ils ont décrété la fin de la fièvre, la fin des grincements de dents et la fin des tremblements de doigts. La fin des hauts cris de désespoir et des murmures de fond de gorge.
Et puis ,et puis
Il y eut cette injonction à vivre, cette foutue injonction à vivre.
Ils ont dit : il y a de l’indécence à ne pas vouloir vivre quand on a survécu.
Silence.
Moi je dis qu’il y a de l’indécence à survivre à tout.
Moi je ne voulais pas. Moi je ne voulais pas voir le jour nouveau, je le jure, le cadavre de mon père sur le ventre je n’ai pas voulu voir le jour nouveau, la tête de ma mère près de ma bouche, je n’ai pas voulu voir le jour nouveau. Mais j’entends les louanges qui hurlent de part en part des murs de l’église, à courir les rues et les vents porteurs « Dieu a un plan pour toi » qu’ils disent. Dieu a un plan pour toi. Je dis, je dis Dieu est une petite ordure sans courage ni morale. Je dis Dieu est une petite salope qui se donne bonne conscience en ne laissant pas tuer tout le monde. Je dis que quand on tue, il faut tout tuer.

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